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Un autre genre


Brut

Comme ça, on dirait pas. Mais en fait, c'est vraiment derrière moi. Je n'ai pas de difficulté à raconter cet évènement, je n'ai pas non plus particulièrement envie ou besoin de le faire. En revanche, j'ai besoin d'écrire. Pourquoi sur ça? Pourquoi sur ça, aujourd'hui? Je ne sais pas, je vais bien, ça me paraissait être un exercice froid, qui avait le double avantage de m'assurer que je ne fais pas que dans le futile au miel sucré, et de parler peut-être à certaines. 

 

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Brut. Brut ce réveil dans la nuit du 7 au 8 mai 2009, brut et vaseux malgré la colère dans laquelle je m’étais couchée ce soir là: si je ruminais parfois mes états d’âme et que je peinais à m’endormir, à cette époque, je ne connaissais pas encore le goût amer des nuits blanchies d’angoisses. Il devait être autour des cinq heures du matin quand le ronflement m’a réveillée. Ce ronflement qui ne semblait appartenir à personne. 

 

Je me suis levée pour voir d’où il provenait. Quel spectacle. Trônant sur les toilettes tel le roi des cons, porte ouverte, Paul dormait paisiblement la tête dans le slip. S’il avait été célèbre j’aurais revendu cher clichés et vidéos. Si j’avais été mauvaise aussi. Au lieu de ça, humiliée de trouver celui dont j’étais supposée être amoureuse dans un état aussi minable, à la vue de tous, y compris celle de ma mère venue nous rendre visite, j’ai tenté de le réveiller.

 

A sa tête de veau abrutie d’alcool, je n’ai pu opposer qu’un sentiment de dégoût et de mépris. C’est beau l’amour. Quelques minutes plus tard, pendant que son foie mobilisait toute son énergie pour purger les litres de bibine qu’il avait dû s’enfiler, je restais aussi froide que possible quand finalement décidé à se lever, il m’a regardée droit dans les yeux en pissant par terre: « et ça? c’est pas de la pisse? » a-t-il finit par articuler.

 

A ce moment là, je n’avais aucune capacité à me projeter dans l’avenir. Je n’ai pas compris que c’était la fin, que rien ne pouvait plus être réparé. Et avec le recul, je trouve ça parfait! Seul le présent m’importait, le présent et l’évènement qui nous réunirait tous le lendemain et le sur-lendemain: le mariage de sa soeur. Je suis allée vociférer dans l’oreille engourdie de son ami à peine moins imbibé, qu’il était temps maintenant de prendre le relais, et que pour ma part, j’avais donné. Et puis je suis revenue sur mes pas pour aller me coucher. 

 

Sur mon chemin, Paul. Il avait réussi à tituber sur quelques dizaines de centimètres. Blasée de ce spectacle, j’ai avancé une main fâchée vers son épaule pour le bousculer. Je n’imaginais pas alors quelles seraient les conséquences de ce geste. Après s’être vautré lamentablement dans l’étagère du vestibule, il s’est redressé comme un diable dans sa boîte. Je garde en mémoire l’image, comme ralentie, de sa paume s’ouvrir et s’élancer sur mon visage. Ce bourdonnement dans ma tête, et ma main incrédule posée sur ma joue comme pour comprendre ce qui m’arrivait. 

 

Quelle idiote! Non contente d’être étourdie et de sentir les larmes couler, il a fallu que je parle, que je lui dise quel con il était, que je lui demande ce qui lui prenait. Moi qui suis habituée à la pluie, l’expression "pleuvoir des hallebardes" a pris tout son sens ce soir là. Je suis incapable de dire combien de temps ça a duré. J’ai vu les murs, les chambranles de portes, les meubles, j’avais l’impression d’être dans Space Mountain sans harnais. 

 

Malgré tout, en le voyant se tapir au fond de la chambre, comme un animal prêt à bondir, tandis qu’il me gratifiait de jolis noms d’oiseaux et de son haleine chargée, mon instinct de survie m’a poussée à m’habiller. J’ai été convaincue de ce que je faisais quand dans mon dos, je l’ai entendu me promettre la mort. 

 

Tout comme l’ivrogne qui lui faisait office d’ami et qui n’a daigné bouger que lorsque je me suis décidée à partir, ma mère, en bas, s’était réveillée, inquiète. Je l’ai prise avec moi, et après un coup de fil gêné, nous sommes arrivées chez ma belle soeur vers six heures du matin. Je crois que je ne pleurais pas. Ce qui me marque en revanche, c’est le moment où j’ai pris conscience de ce qui venait de se passer, en entendant la future mariée raconter: « Paul a tabassé Rosalie. »

 



 


22/08/2014
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Paris l'été

Voilà un article sans intérêt particulier, juste une scène partagée, pas de drôlerie, pas de gag, pas de drame non plus, même pas un peu de moi, juste ce que j'ai vu ce jour là et que j'ai eu envie d'écrire.

 

Paris, place de la République, le 2 juillet vers 16h.

 

Les 26°C annoncés par la météo doivent être dépassés. Après quelques heures d'errance entre des portants mal rangés et mal étiquetés, en pleine folie des soldes, la batterie de mon téléphone m'impose une pause ensoleillée sur la terrasse d'un café.

 

En princesse des bords de mers, je suis attirée par le brouhaha des enfants qui jouent dans l'eau. Pour la première fois en trois ans de vie francilienne, je découvre finalement que le relâchement et l'insouciance de l'été existent aussi à Paris.

 

Nous sommes mercredi, les enfants ont bientôt fini l'école, et aujourd'hui, mercredi, c'est déjà comme s'ils étaient en vacances. Derrière la fontaine, prise d'assaut par les adultes qui rêvent d'y plonger leurs pieds, se trouve une sorte de pédiluve géant, le paradis des enfants. 

 

On réalise rapidement que les parents ont pris moins d'une minute à renoncer à l'idée de rentrer au sec. Ceux qui ont réagit le plus vite ont profité de cet âge où gêne et complexes n'existent pas encore, et transformé les sous-vêtements de leurs bambins en maillots de bain de fortune.

 

L'ambiance est détendue. Si ce n'étaient le prix des consos et le bruit de l'abondante circulation, on oublierait qu'on est à Paris, et il ne faudrait rien pour s'imaginer sous le soleil de province.

 

Les enfants courent, sans même prendre la précaution de réduire l'amplitude de leurs pas. Les parents les regardent avec bonheur et envie, jusqu'à l'inévitable et douloureux gadin, qui fige sur leurs visages une expression d'inquiétude démunie mêlée à de la culpabilité: biensûr, c'est dangereux, c'est glissant.

 

Mais tout reprend son cours à la première éclaboussure. Les enfants ont sauté sur l'opportunité: une chute les a mouillés? Tant qu'à y aller! Tels des rockstars, ils prennent leur élan pour se jeter sur les genoux, voire carrément sur le ventre pour les plus audacieux.

 

Là où les différences d'âges sont habituellement prétextes à d'interminables disputes, elles sont ici mises de côté et les fratries semblent unies, assez fortes alors pour oser s'aventurer à la connaissance des autres. Les codes sociaux des adultes sont bien loin. Pas de cartes de visites distribuées, pas de verres offerts ou de frôlements frustrants, un simple "comment tu t'appelles?" suffit à amorcer une conversation succincte suivie de cris et d'éclats de rire entre deux généreuses projections.

 

La vie est simple.


01/08/2014
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Le maillot de bain rouge

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Il y a 6 ans, mon père n’avait pas facebook, il était trop occupé à réparer des trucs qui n’étaient pas cassés  dans sa chambre d’hôpital. Aujourd’hui il n'est toujours pas équipé, je suppose qu’il installe une autre fenêtre qui donne de l’intérieur à l’intérieur… Ou alors il ne m’a pas ajoutée à ses amis. Je ne sais pas. En tous les cas, je ne lui adresse pas des déclarations d’amour sur facebook, parce que je sais qu’il ne les lira pas.

 

Mais bon, comme mon père il est avec moi tous les jours, j’ai envie de parler de lui. Mon père, son plus grand défaut, c’est d’être mort. Aujourd’hui ça fait six ans. Il n’était pas parfait, il ne l’est pas devenu en s’en allant, mais c'était un sacré bonhomme. C’était mon père. Je pourrais vous en parler et faire un éloge funèbre  tristissime en vous racontant son corps chétif, son visage émacié et son crâne d’oisillon déplumé, y ajouter  une musique au piano  et vous bricoler plein d’émotions M6, mais moi, j’ai juste envie de vous parler du maillot de bain rouge.

 

Le maillot de bain rouge de mon père c’est l’image qui me vient quand je pense à lui. Soyons précis, ce n’est pas un maillot de bain rouge ordinaire. Non. C’est un slip de bain. Un slip de bain de mauvaise qualité, increvable, comme on en trouvait chez Carrouf quand ça s’appelait encore Continent. Tellement increvable d’ailleurs que ce maillot de bain rouge, Papa il l’a porté pendant des années, même quand sa p’tite bouée s’est mise à déborder.

 

Ce maillot de bain rouge, il m’évoque les frisouilles brunes de mon père, celles que j’ai longtemps maudites sur ma propre caboche avant de les aimer et de les exhiber comme un trophée « j’en ai hérité, moi. » Parce qu’il était beau mon père. Petit, mais beau. J’en ai pris conscience le jour où pour la première fois j’ai bien voulu entendre qu’il n’était pas que père de famille. Ce jour là, c’est une sorte de top-model intellectuel avec le cœur sur la main, ma copine Anne, qui me l’a fait comprendre : « il est bel homme ton père . » Vingt ans plus tard, j’en biche encore.

 

Ce maillot de bain rouge, il me rappelle que mon père, il avait beau nous amener à l’arrêt de bus du lycée ma sœur et moi, en grelottant dans sa robe de chambre en acrylique bleu marine,  il était soucieux de son image. A la même époque, celle de cette ingrate adolescence où nous ne sommes que mépris vis-à-vis de nos parents, il avait peut-être senti mon malaise quand il m’a accompagnée à la plage dans son maillot trop petit, retrouver mes amis. Je le revois rentrer son ventre et me demander de faire du sport avec moi. Malgré une hygiène de vie dont le seul vice était un léger faible pour les pâtisseries, au bout de quelques centaines de mètres, il crachait ses poumons. Mais n’ayant que faire de mes conseils, il se mettait à sprinter dès qu’on croisait du monde pour se remettre à marcher sitôt à l’abri des regards.

 

Ce maillot de bain rouge, donc, il m’incite à me souvenir du fait que j’adorais voir rire mon père. C’est vrai que sous ses épais sourcils en bataille il plantait parfois un regard qui me dissuadait de le chercher, mais quand il était de bonne humeur, ses yeux rieurs pouvaient largement rivaliser avec ceux de Jean Dujardin.  Il était moqueur et un tout p’tit peu nerveux. Alors je n’avais pas tellement de mal à l’imaginer crever le ballon de son frère par vengeance quand ils étaient gamins, d’autant plus que lorsqu’il le racontait, il avait un léger rictus en même temps qu’un agacement encore présent.

 

Ce n’était peut-être pas dans son maillot de bain rouge que mon père montrait le meilleur de lui-même, mais dans son maillot moche, il redevenait simplement mon père, à moi, et je pouvais alors faire semblant d’ignorer que je n’étais pas la seule à l’aimer. En fait, Papa, à bien y réfléchir, c’était comme un super-héros rebelle, un super héros avec les manières du Prince of Bel Air qui mettait sa veste à l’envers. C’est son maillot de bain rouge qui le faisait passer de père ordinaire extra, à un être supérieur dans son habit de savoir Ollygan . Parce que mon père, il était petit, mais il était grand, c’était un self-made-man, une pile électrique qui n’arrêtait jamais et qui en imposait malgré les doutes qu’il avait de lui. Pas vraiment un animal social, plutôt un ours en fait, un ours tendre et pudique finalement, qui suscitait le respect et l’admiration.

 

C’était mon père. Je lui en ai voulu d’être parti, mais c’était égoïste. J’ai toujours un manque, mais je n’ai plus de rancœur, sauf une : je lui en veux d’avoir laissé mon frère dans son maillot de bain gris, sans lui avoir dit qu’il était comme lui.

 

 


02/05/2014
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